Témoignages

Utexbel: passé, présent, futur

Octobre 2024. C’est une opportunité unique qui nous est offerte: visiter les locaux d’Utexbel – anciennement “Tiberghien” – à la veille des portes ouvertes. Une usine « résistante », témoin du passé textile mouscronnois. Ici, on fait toujours du fil. Du fil technique, qui sert à créer les équipement antifeu de divers corps d’armée, de pompiers, de policiers…

L’entreprise est installée rue de Bilemont. Presque en centre-ville, à deux pas du parc communal. On est loin des usines modernes du zoning qui a poussé un peu plus loin. Ici on voit la brique, rouge, d’époque, reconnaissable. L’usine est fière, debout. Ses travailleurs aussi. Plusieurs chats accueillent le visiteur. Ils vivent ici. Ils ont investi les anciens locaux, ceux où on stocke des vieilles machines et des pièces “au cas où”. Car ici, le maître mot, c’est le recyclage. Rien ne se perd. Ni les matériaux, ni le savoir-faire.

Pour cette visite, nous avons une guide de choix: Céline, Mouscronnoise, (fille de) textilienne. Céline est dynamique, passionnée. Son métier, elle l’adore, son usine aussi. Céline est discrète, aussi. La visite, oui, mais seulement si elle n’est pas sur les photos. C’est pourquoi vous ne la verrez pas sur les documents qui accompagnent ce récit, et que nous l’appelons par son prénom.

De mère en fille

Ses premiers pas chez Utexbel, Céline les a faits à 18 ans. Nous sommes alors dans les années 2000. « C’était impressionnant parce qu’elles étaient déjà toutes bien en place, moi j’étais le bébé ! Elles devaient toutes avoir une quarantaine d’année… J’ai vraiment été couvée! Ma maman travaillait ici aussi, en préparation, mais on n’a jamais travaillé dans le même secteur. »

Au tout début pourtant, on a « testé » la jeune fille, comme toutes celles qui sont entrées avant et après elle… Elle s’en souvient avec bienveillance et humour. “Quand j’ai commencé, on m’a fait faire les ‘rafiots’. C’est quand la broche tourne et qu’une espèce de déchet – le rafiot – s’enroule autour. Quand tu nettoies la machine, il faut enlever ça. Maintenant elles ont droit à des tabourets, mais à l’époque, tintin ! Ma contredame attendait que je termine, regardait l’horloge, levait les yeux au ciel et disait « eeeh bein! ».”

Des anecdotes ? Il y a eu beaucoup de bons moments ! Je travaillais de 5 à 1 et on habitait toutes près de l’usine. Je partais à 4h de la maison pour récupérer des collègues. À 4h15 on était ici, juste pour se bidonner, on s’aspergeait d’eau avec des seringues, c’était bon enfant !

Mais Céline apprend vite et devient une pro. « J’ai commencé au continu à filer. Puis je me suis formée aux autres postes. Il manquait quelqu’un au bobinoir, j’y suis allée. Ça va vite… Il faut de la dextérité, et puis c’est bon, c’est parti ! » Aujourd’hui, une vingtaine d’années plus tard, Céline partage son temps entre les machines et les bureaux. « Je suis responsable de planning. Je place les gens, je reçois les commandes des différents départements, je gère la production au bobinoir et au retordage. Enfin, je suis responsable de l’encaissage aussi. »

Ce que l’on ressent dans le ton et dans les mots, c’est de la fierté. Pour le chemin parcouru, et pour l’entreprise, si symbolique. “Bien sûr qu’il faut être fière de travailler ici. Je le suis. Les personnes plus âgées aussi ! Chez les jeunes travailleurs… peut-être un peu moins. Je pense que la société a changé et que la jeunesse va prioriser autre chose, des valeurs plus individualistes. Il y a une solidarité qui est perdue, quelque part.”

Sans regret!

Ou peut-être n’est-il pas simple de faire son trou dans un milieu où les “anciens”, ceux qui connaissent le métier sur le bout des doigts, sont toujours en poste. “Selon moi on est dans une période de transition entre les anciens et les nouveaux. Ça ne colle pas forcément entre les générations. Mais il se peut que le temps fasse son oeuvre, que les jeunes trouvent leur place, et qu’on soit surpris en bien.”

Céline, elle, est issue de la génération qui n’a pas connu les heures de gloire du secteur textile, ni même son déclin. Pourtant, elle en a vécu l’histoire. « Ma mère a connu les faillites, la période difficile, à la Filature de l’Espierre. Toutes les semaines, elle venait déposer son CV ici, chez Utexbel. » Une maman qui espérait d’ailleurs un autre avenir pour sa fille. « Mais j’ai aimé ce métier tout de suite. Quelle déception pour ma maman, qui ne voulait pas que je reste ! Au final ça a bien tourné, c’est sans regret !”

Tournée vers l’avenir

Utexbel à Mouscron, c’est une exception. La dernière filature du genre dans le pays, l’une des rares en Europe. Quelle est la recette de la longévité? Céline a son idée: « On est à une période où il faut faire les bons choix. Recyclage, produits locaux, c’est ça qui est dans l’air actuellement ! Mais au-delà de ça, il y a eu la gestion, et la volonté de la direction de garder les travailleurs en Belgique. Mais vraiment! À une époque où tout le monde délocalisait, on a eu peur pour nos emplois. Mais on a vu M.Gribomont (du nom de la famille actionnaire principale du groupe Utexbel) taper du poing sur la table et dire « je ne délocaliserai pas ». » Et voilà le résultat aujourd’hui.

Bien sûr que j’aimerais faire toute ma carrière ici ! Qui ne le voudrait pas ?

Céline, travailleuse chez Utexbel

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