Témoignages

Marie Saromski : le sport, porte de sortie de l’usine

C’est un témoignage particulièrement riche que nous avons reçu de la part de Marie Saromski. Marie est aujourd’hui mouscronnoise, très engagée dans la vie locale, associative et politique. Mais elle a été, aussi, une travailleuse du textile, issue de l’immigration.

« Je suis née en 1947, à Roubaix. Mes parents sont des réfugiés polonais et ukrainiens. J’ai été considérée comme apatride jusqu’à ma majorité à 21 ans, et ensuite j’ai eu la nationalité française, puis la double nationalité franco-belge, par mon mariage quatre ans plus tard. »

L’enfance de Marie est celle de tous les petits Polonais arrivés dans nos contrées à cette époque. Réfugiés. « Les familles polonaises étaient toutes cantonnées dans une usine désaffectée. Qui appartenait à Amédée Prouvost. C’était un entrepôt de ballots de laine. Nous logions là, nous avions des deux-pièces avec un vieux feu, un buffet… C’est là que je suis née. Papa et maman dormaient dans un lit et nous, nous étions à quatre dans un autre. » Marie vit dans cette usine, avec de nombreuses autres familles, jusqu’à ses 14 ans. Ses parents auront ensuite une maison sociale. « Il y avait une vie dans l’usine… Des gens qui buvaient, d’autres pas… La police devait régulièrement intervenir. Nous, on s’amusait, il y avait une cour pour jouer… Le jeudi après-midi, on avait des cours de polonais, pour ne pas oublier la langue. Quand je vois aujourd’hui les réfugiés qui logent dans des centres, comme celui de Mouscron, je me dis qu’on reproduit exactement les mêmes choses qu’à mon époque. »

L’apprentissage et le sport

Comme nombre de jeunes filles qui ont témoigné dans le cadre de ce projet, Marie, à 14 ans, commence à travailler. Juste après l’école primaire. D’abord en « apprentissage », à La Lainière de Roubaix, ou Filatures Prouvost & Cie. « C’était une année à mi-temps en usine, à mi-temps en « arts ménagers ». C’est l’entreprise qui nous formait. Il fallait savoir compter, cuisiner, nettoyer. Et on avait aussi des activités sportives, à hauteur de deux heures par semaine, car La Lainière avait son propre stade. C’était déjà bien. »

La jeune Marie adore le sport. Son rêve, c’est de continuer l’école et de devenir professeure de gymnastique. « C’était ma vocation, j’ai toujours aimé ça. Mais je ne pouvais pas continuer. Il n’y avait pas de bourse d’études, j’étais étrangère, j’étais l’aînée de quatre enfants, mes parents ne parlaient pas français… C’est moi qui m’occupais de l’administratif, des traductions pour ma mère, qui ne savait pas lire. J’ai toujours dû me débrouiller. »

Marie Saromski fait donc son petit bonhomme de chemin au sein de la « Lainière de Roubaix ». Peaux de mouton, continus à filer, dévidoirs, bobinoirs, tissage… « Notre monitrice avait décidé que j’étais douée au bobinoir conique. Mais je ne suis pas restée car je me suis perfectionnée en retorderie, doublage, tout ce qui vient « après » le continu à filer. Je suis donc devenue ouvrière polyvalente. »

Et les voyages!

Mais toujours, en arrière-plan, il reste le sport. Grâce à ses capacités, Marie est amenée à se former, et réalise un peu de son rêve d’enfance. « Le comité d’entreprise organisait des vacances pour les enfants des ouvriers. Quand j’ai eu 18 ans, j’ai fait un stage à Lille payé par La Lainière pour devenir monitrice. Grâce à ça, j’ai fait des séjours dans des endroits où je n’aurais jamais mis les pieds, car mes parents ne pouvaient pas se le permettre. Je suis allée en Suisse, dans le Sud de la France, en Savoie, au Cap d’Ail… C’est grâce au prof de sport, qui m’a appris à animer, à faire des jeux. »

Marie, très jeune, devient contredame. Mais elle ne fera pas toute sa carrière dans le textile. Elle quittera l’industrie à son mariage, pour tenir un magasin. Quelques années plus tard, elle retente sa chance dans une filature, cette fois en Belgique. Mais l’expérience n’est pas concluante. « Je suis allée un an à la Filature de l’Espierre. J’ai failli faire une dépression. J’ai eu droit à tout, des réflexions, des humiliations. On me faisait nettoyer, alors que je devais travailler en retorderie. Le patron m’a dit que des gens avec une grande gueule comme moi, il n’en fallait pas! » Marie travaillera ensuite dans une école communale, à Mouscron, jusqu’à sa pension. Aujourd’hui, elle s’occupe encore de nombreuses animations sociales, tant pour l’enfance que le troisième âge.

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